De l’estragon à Artemisia, histoire rocambolesque d’un dragon, d’une fée verte et du sauvetage d’un continent

  • Le Passage du SAS
  • 02 Janvier 2021
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Bonne année à tous !

Je vous propose une nouvelle série qui renvoie sur le blog des Editions Hello Goodbye, je l’ai baptisée : papilles "on”, quand vos papilles ne sont plus saturées par le trop plein de sucre et les aliments industriels, (le but du SAS), tout un monde subtil et joyeux s’offre à nous. 

Je garde la liberté de papilles "on” er librement d’un sujet à l’autre, avec curiosité et émerveillement, tout en essayant de vous amuser et de vous apporter des petits trucs. Je vous invite à chercher plus loin si le sujet vous intéresse, car je ne souhaite pas m'enfermer dans une vision encyclopédique, mais plutôt m’émerveiller avec vous de ce que la nature nous offre.

 

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Que diriez-vous d’une balade dans le monde enchanté des artémisia, Artémis, fille de Zeus, déesse grecque de la lune, protectrice des femmes et de la vie sauvage…

Les espèces d’Artemisia de la famille des Asteraceae sont très nombreuses, elles on en commun leur pouvoir digestif, diurétique, vermifuge, tonifiante du transit intestinal, ainsi qu’une action sur les poumons et sur la sphère gynécologique féminine.

J'ai envie de vous faire découvrir l’incroyable éventail d’utilisation de cette famille, qui passe de la médecine ancestrale à la haute gastronomie, du digestif mystérieux et trouble au sauvetage d’un continent…

 

Présentation des plus connues de ces demoiselles :

l’estragon (Artemisia dracunculus), une des 4 herbes les plus réputées de la gastronomie française

l’absinthe (Artemisia absinthium), utilisée dans la fabrication de célèbre spiritueux “fée verte” du Val-de-Travers.

le génépi (Artemisia mutellina, Atemisia eriantha, Artemisia spicata, Artemisia glacialis, sont les espèces les plus aromatiques pour les tisanes et la liqueur de génépi

l’armoise vulgaire (Artemisa vulgaris) utilisée en médecine chinoise et ayurvédique. Ce sont entre autre ses feuilles qui sont roulées pour  les bâtons de moxas

l’armoise annuelle (Artemisia annua), star de l’année 2020.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’estragon

L’estragon a une origine floue (Europe centrale, Asie, Amérique). En Europe, il ne survit que grâce aux bons soins d’un jardinier; vous ne le trouverez pas à l’état sauvage.

Il est parvenu en Europe par la médecine. Son nom dracunculus "petit dragon” est inspiré pour certains par ses racines enroulées comme un dragon, pour Pline et Avicenne il est capable de soigner les morsures de serpent.

A partir du XIVe siècle, l’estragon glissera doucement vers une utilisation gastronomique et atteindra le sommet de sa gloire dans les cuisines de Versailles, où il ravira les papilles couronnées et deviendra une star de la gastronomie française.

« C’est une des salades les plus agréables qui n’a besoin ni de sel ni de vinaigre, car elle possède le goût de ces deux condiments » Jean Ruel (1474-1537) botaniste et médecin français

«Une sauce béarnaise est simplement un jaune d'œuf, une échalote, un peu de vinaigre d'estragon et du beurre, mais il faut des années de pratique pour que le résultat soit parfait.» Fernand Point, chef et restaurateur français.

Ces deux citations nous offrent les clés de son utilisation en cuisine. Comme ingrédient principal en salade ou salade composée, et comme condiment, afin de remonter la fadeur de certains aliments. C’est un excellent substitut du sel quand on doit restreindre sa consommation.

Indication : Digestion lente ou difficile, flatulences, aérophagie, constipation, diarrhée. Préférez toujours l’herbe fraîche à l’herbe séchée qui perd beaucoup de ses actifs.

Huile essentielle : 2 gouttes dans un cc d’huile d’olive stoppe le hoquet (pas pour les femmes enceintes). La respirer au flacon aide à conserver vigilance et clarté d’esprit.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’absinthe

Absinthium : privé de douceur = amer

Considérée comme hallucinogène dans le milieu artistique, Van Gogh, Rimbaud, Degas, Musset, Toulouse-Lautrec ou Verlaine en ont fait leur boisson préférée.

Toxique pour ses détracteurs, la liqueur d’absinthe sera interdite à la vente et à la fabrication en Suisse à partir du 7 octobre 1910 à minuit, la France, l’Allemagne et les Etats-Unis suivront quelques années plus tard.

Mise sur les banc des accusés à cause de la molécule thuyone, à la fois ange et démon. Elle soigne de la dysenterie et de la malaria (comme artemisia annua) mais rendrait fou, aveugle et convulserait le corps.

Cette cabale contre la fée verte a été démontée en 1999 par Meshler et Howlett dans « Pharmacology Biochemestery and Behavior ».

En mars 2005, l’absinthe redevient légale en Suisse, une directive européenne limite toutefois l’usage de la thuyone à 35 mg par litre. On disait qu’autrefois elle montait jusqu’à 300 mg / litre, cependant cette théorie semble fausse car en analysant une bouteille d’absinthe datant de la prohibition, on y a retrouvé seulement 6 mg par litre…

Apeurer la population face à la «molécule folle» semble avoir été la méthode de lutte menée par les abstinents et les vignerons inquiétés de l’intérêt soudain pour cet apéritif. Cela n’a pas empêché une contrebande mythique de la «Fée verte» dans le Val-de-Travers, qui aura permis d’en sauver sa recette.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le génépi

Moins trouble et mystérieux que sa petite sœur l’absinthe, pourtant il possède également de la thuyone. On peut imaginer que c'est grâce aux moines qu’il a obtenu son odeur de sainteté.

Le génépi est une plante emblématique des régions alpines. Il pousse en haute altitude entre 2000 et 3000 mètres, il faut aujourd’hui le cultiver pour avoir le droit de le commercialiser car il est protégé, interdit à la cueillette pour certaines sortes et restreint pour d’autre.

Depuis le Moyen Âge, il est de tradition en montagne de récolter le génépi pour concocter des tisanes et des infusions pour soigner les problèmes gastriques, tonifier, soigner les affections pulmonaires, faciliter la menstruation. Lorsqu’un chasseur ou un guide partait pour une course lointaine il devait rapporter les brins de génépi sacré, en échange il obtenait sa liqueur qu'il utilisait contre les coups de fatigue.

La plante se retrouve dans de nombreux remèdes comme l’Eau d’Arquebusade. Cette eau a été créée  au XVIe siècle par les moines du Vercors pour soigner efficacement les plaies occasionnées par l’arquebuse, qui blessait et brulait les soldats. La formule a été rachetée par les pharmaciens Fabre et Bouet de Lausanne.

La liqueur de génépi trouve son origine au Moyen-âge et s’est répandue grâce à la production des moines. Servie en apéritif, elle est un stimulant gastrique. Tout comme l’absinthe, elle ouvre l’appétit et prépare la digestion. Elle est également consommée en digestif et on l’utilise pour parfumer du saucisson, un plat, une glace, un fromage.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’armoise vulgaire

L’herbe de la Saint-Jean; ce surnom dévoile son côté magique. La nuit de la Saint-Jean, au solstice d’été, les demoiselles à marier passaient dans le feu un rameau d’armoise qu'elle plaçaient ensuite sous leur oreiller. Cela permettait d’entrevoir le visage de leur futur mari.

Cela ne vous rappelle rien ? Le côté hallucinogène de l’armoise que l'on retrouve dans l’absinthe avec la thuyone?

Elle semble avoir été utilisée depuis l’aube de l’humanité dans des rites magiques et chamaniques. On a retrouvé des traces importantes d’armoise autour des grottes de Lascaux. On l’utilise encore aujourd’hui pour repousser les mauvais esprits dans une maison.

Contrairement au génépi et à l'estragon, cette plante vivace est très commune à l’état sauvage.

En médecine chinoise elle sert à fabriquer les bâtons de moxa pour la moxibustion. Ils permettent d’obtenir une chaleur vive et ponctuelle.  En ciblant les bons points d’acupuncture, la chaleur chasse le vent et le froid du corps, et agit avec précision sur l’organe en lien avec le point d’acupuncture choisi. Le but étant de rééquilibrer le yin et la yang.

La plante est couramment utilisée pour traiter les problèmes liés aux menstruations, à la digestion et également pour se débarrasser des vers intestinaux.

Les feuilles sont légèrement amères et très aromatiques. Elles sont ajoutées en assaisonnement à certains plats en petites quantités, elles ajoutent un bel arôme et stimulent les sucs digestifs.

 

 

 

 

 

 

 

 

L’armoise annuelle

Il n’est plus besoin de présenter cette plante médicinale ancestrale, elle a beaucoup fait parler d’elle, grâce à un certain virus. Elle est devenue le porte-drapeau de la médecine traditionnelle qui soigne efficacement mais n’est pas assez rentable.

Eh oui, c’est une petite sœur de l’estragon et de l’absinthe…

Elle a été utilisée depuis des millénaires en médecine chinoise et ayurvédique. Les premières traces nous viennent de la dynastie Han, 168 avant notre ère, où elle fut découverte dans une tombe. Mentionnée pour le traitement des fièvres dans "Le traité de prescriptions urgentes” de Ge Hong en 340.

Aujourd’hui elle est principalement utilisée contre la malaria en Afrique, car les pays pauvres n’ont pas accès aux coûteuses molécules pharmaceutiques, et actuellement c’est plutôt une bénédiction pour ce continent qui a très peu été touché par l’épidémie.

De nombreuses études prouvent actuellement son efficacité dans de nombreuses maladies, dont le VIH et le cancer et le diabète. N’est-ce pas un joli pied-de-nez de la nature? Plus de 400 composés actifs, dans une plante qui pousse comme une mauvaise herbe en bordure de route et dans les terrains vagues.

La science isole la molécule artémisinine pour ses futurs médicaments. Personnellement, curieux de la nature et des huiles essentielles, j'ai tendance à penser que c'est une grand erreur, car la nature est bien plus complexe que ces molécules extraites. Il est important de rester humble au niveau de l’observation, et ne pas chercher à tout maîtriser.

Pour réaliser une infusion d’armoise selon Dr Jean Valnet; 30 à 40 g d’herbe sèche pour 1 litre d’eau.
Si la plante est fraîche on utilisera alors entre 50 et 100 g par litre.
Pulvériser la plante sèche et couper finement la plante fraîche, afin qu’un maximum d’actifs puissent être extraits.
Laisser infuser environ 15 min à couvert, et boire en plusieurs fois dans la journée.
C'est un breuvage très amer!

 

Voilà, j'espère que ce "papille on” age au cœur d’Artémis vous aura séduit, comme quoi chaque petite herbe, même la plus humble, mérite notre attention, car elle peut relever un plat… ou sauver un continent…